La Symphonie du Nouveau monde
Antonín DVORÁK (1841-1904)
« Voulez-vous accepter le poste de directeur du Conservatoire national de musique de New York à partir d'octobre 1892 - Ainsi que la direction de 6 concerts - Signé Jeannette Thurber », c'est par ce court télégramme que la femme d'un riche négociant en produits alimentaires newyorkais, fine mélomane pétrie de culture française, obtint qu'Antonín Dvorák vînt s'installer à des milliers de kilomètres de sa Bohème natale. Nommé depuis peu professeur de composition au Conservatoire de Prague, il hésitera pourtant plusieurs mois, allant jusqu'à soumettre sa décision au suffrage familial. Il embarque en septembre pour une longue traversée de l'Atlantique, accompagné de sa femme et de deux de ses enfants, laissant derrière lui son père, et ses quatre autres enfants confiés à leur grand-mère maternelle. éloigné d'une partie de sa famille et de la patrie qu'il s'est tant attaché à dépeindre dans sa musique, le compositeur est rapidement atteint par le mal du pays ; ce sentiment est cependant contrebalancé par l'émerveillement face à une situation et un monde totalement nouveaux. Il découvre ainsi les musiques populaires noires et indiennes, se liant d'amitié avec le chanteur de negrospirituals Henry T. Burleigh et relisant le Chant de Hiawatha d'Henry W. Longfellow. Après la réalisation de deux ouvrages de commande : le Te Deum et la cantate The American Flag, Dvorák se lance dans l'écriture de sa neuvième, et dernière, symphonie.
La composition s'étale sur les cinq premiers mois de l'année 1893. La création a lieu en décembre de la même année, au Théâtre national, sous la baguette d'Anton Seidl, ancien assistant de Hans Richter lors de la création du Ring à Bayreuth. Le concert est un vrai triomphe et la presse new-yorkaise voit en cette symphonie autant une oeuvre inspirée par la musique amérindienne qu'un témoignage du génie et de l'art américain. Pour un peu, le chantre de la musique tchèque qu'est Dvorák serait en quelques mois devenu le porte étendard de la fierté états-uniennes, de la mémoire des peuples premiers et des revendications des fils de la traite négrière. Il convient de relativiser les analyses trop américanisantes faites sur cette oeuvre en rappelant tout d'abord que Dvorák, comme à son habitude, n'a fait usage que de thèmes originaux et non d'empreint authentique à la musique américaine. Il a néanmoins puisé son inspiration dans les diverses musiques populaires dont il a fait la connaissance depuis son arrivée au états-Unis et déclara ainsi « J'ai tout simplement écrit des thèmes à moi, leur donnant les particularités de la musique des Noirs et des Peaux-rouges ; et, me servant de ces thèmes comme du sujet, je les ai développés au moyen de toutes les ressources du rythme, de l'harmonie, du contrepoint, et des couleurs de l'orchestre moderne ». En inscrivant sur la partition l'intitulé « Le Nouveau Monde », le compositeur aurait pu s'attendre à ces nombreux commentaires, parfois fantaisistes. L'inspiration de Dvorák est cependant profondément ancrée dans les racines de sa nouvelle terre d'accueil au travers de la mythologie poétique amérindienne véhiculée par les textes de Longfellow qu'il affectionne.
Un Requiem allemand
Johannes BRAHMS (1833-1897)
Dans une lettre du 9 octobre 1867, Johannes Brahms déclara qu'il « omettrait volontiers le [mot] allemand » du titre de son opus 45, et qu'il y « substituerait à sa place simplement le mot humain ». Un Requiem humain, certes, et à plusieurs égards : ce soi-disant Requiem - terme qui désigne à l'origine la Missa pro defunctis de la liturgie catholique - ne lance aucune supplication pour les défunts, mais se destine surtout à ceux qui vivent toujours sur terre. Tout en reconnaissant la douleur de l'existence, ce Requiem a pour but de réconforter ceux qui souffrent en rappelant la promesse de la récompense éternelle. Il s'agit d'une oeuvre incontestablement chrétienne ; Brahms prit des citations de la Bible de Luther qui tournent autour de l'espoir, de la rassurance et de la récompense et évita à dessein tout ce qui avait trait à la vengeance et au jugement. Plus frappant encore, il avoua lui-même avoir omis toute mention à la rédemption du Christ. Lorsque Carl Martin Reinthaler, organiste à la Cathédrale de Brême lui reprocha cette omission, le compositeur expliqua qu'il avait choisi ces textes en particulier « parce que je suis musicien, [et] parce que j'en avais besoin...». On doit néanmoins constater que c'est l'aspect allemand de ce Requiem - bien que Brahms ne s'attacha pas spécialement à ce qualificatif - qui constitue en ce qu'il laisse de côté entièrement les textes latins traditionnels, la caractéristique la plus frappante de l'oeuvre. Beethoven, Shubert et Schumann, les prédécesseurs majeurs allemands de Brahms au XIXe siècle, composèrent tous soit une Messe, soit un Requiem, avec les textes traditionnels en latin.
Schumann composa son Requiem pour Mignon sur un texte du Wilhelm Meister de Goethe, mais Brahms se distingue en étant le premier compositeur de son époque à avoir composé un Requiem sur des textes bibliques en allemand. En cela, il se rapproche davantage des compositeurs protestants du Baroque comme J.S. Bach et Heinrich Schütz que de ses contemporains, bien que ces derniers intitulassent leurs compositions dans ce genre « Geistliche Chormusik » ou « Trauerkantate » au lieu de « Requiem ». En outre, le caractère allemand de l'oeuvre joua un rôle dans sa réception : après la victoire des forces Prusses dans la guerre franco-prussienne de 1870, ce Requiem fut utilisé pour commémorer l'événement. Les trois premiers mouvements furent joués pour la première fois en public le 1er décembre 1867 à Vienne, une ville dans laquelle Brahms fut perçu comme un compositeur conservateur ; selon l'opinion répandue, il s'intéressait davantage au répertoire de la musique chorale baroque qu'à la musique dite moderne. Ce jugement contribua sans doute à l'audition partielle accordée à Brahms. En effet, l'oeuvre ne jouit que d'un accueil tiède, et le fait que dans la fugue du troisième mouvement (`Der Gerechten Seelen sind in Gottes Hand...') le percussionniste prit les fp de Brahms pour des ff ne contribua pas à augmenter l'acclamation du public. Plus grave encore, selon Eduard Hanslick, critique musical pour la Neue freie Presse, était le côté complexe et sérieux de l'oeuvre, qui selon ce dernier ne séduirait sans doute pas beaucoup d'auditeurs. Enfin, c'est dans la Cathédrale de Brêmes qu'eût lieu le 10 avril 1868 la première audition de ce Requiem allemand sans le cinquième mouvement, sous la direction de Brahms lui-même, et cette fois-ci, l'oeuvre fut plus chaleureusement accueillie. Dans le mois qui suivit ce concert, Brahms compléta un autre mouvement pour soprane, choeur et orchestre qui deviendrait le mouvement n°5 (les anciens mouvements n°5 et 6 devinrent les n°6 et 7) dans la version actuelle de l'oeuvre.
Notes de programme de concert mises à jour le vendredi 29 octobre 2010 à 11:31