Requiem en ré mineur, KV 626
Wolfgang Amadeus MOZART (1756-1791)
En juillet 1791, Mozart achève partiellement, exténué, la composition de la Flûte enchantée. C'est peu après l'inscription de celle-ci sur son catalogue d'oeuvre que la "légende" du Requiem de Mozart débute. Laissons ainsi la parole à Franz Xaver Niemetschek, compositeur de dix années le cadet de Mozart et premier biographe du Maître : "L'histoire de la dernière oeuvre de Mozart, la Messe des Morts, est aussi mystérieuse que merveilleuse. Peu de temps avant le couronnement de l'empereur Léopold, avant même que Mozart ne reçût l'invitation de se rendre à Prague, une lettre non signée lui fut remise par un messager inconnu qui, en termes flatteurs, lui transmettait cette demande : Mozart consentirait-il à entreprendre la composition d'une Messe des Morts ? A quel prix et dans combien de temps pourrait-il la livrer ?
Mozart, qui avait l'habitude de ne jamais faire la moindre démarche sans consulter sa femme, rapporta à celle-ci la singulière proposition, exprimant en même temps son intention de s'exercer une fois en ce genre de composition, d'autant plus que le style pathétique plus élevé de la musique religieuse avait toujours été conforme à son génie. Elle lui conseilla d'accepter la proposition. Il répondit donc à l'inconnu qu'il ferait le Requiem contre une certaine somme ; il ne pouvait déterminer exactement à l'époque à laquelle il l'aurait terminé ; il désirait cependant connaître à quelle adresse il aurait à remettre l'ouvrage achevé. Peu de temps après, le même messager reparut : il lui apportait non seulement la somme convenue, mais encore la promesse de lui remettre un supplément important lors de la livraison de l'ouvrage, car il avait fait un prix trop minime. Il devrait d'ailleurs écrire selon son inspiration, et ne pas se donner la peine de chercher à connaître celui qui faisait cette commande, car ce serait certainement inutile."
On sait aujourd'hui que derrière le messager mystérieux se cachait l'intendant du comte Walsegg dont la femme était récemment décédée et qui cherchait à obtenir une messe musicale pour célébrer la mémoire de celle-ci. Or Mozart avait été nommé depuis deux mois vice-maître de chapelle à la cathédrale de Vienne, et son entrée en franc-maçonnerie ne lui avait pas ôté le goût pour la production religieuse. Cependant, bien que Mozart trouvât par cette commande un excellent prétexte au renouvellement de son travail sur la messe, celui-ci ne put s'y consacrer pleinement. En effet, début août, il reçut la commande d'un opéra pour la remise de la couronne de Bohème à l'empereur Léopold II. Il restait donc trois semaines à Mozart pour la composition de la Clémence de Titus, trois semaines durant lesquelles il n'eut vraisemblablement pas le loisir de continuer le travail sur le Requiem initié en juillet.
Renversons l'idée légendaire d'un Mozart utilisant avec acharnement les derniers jours de sa vie pour composer "son" Requiem, le compositeur ne s'est, après Titus, jamais remis sérieusement à sa messe funèbre, pour autant ce manque d'ardeur au travail ne signifie nullement que Mozart considérait cette commande comme une corvée. Le 7 octobre il achève son concerto pour clarinette en La majeur (K 622), le 28 septembre il termine l'ouverture de la Flûte, le 15 novembre se sont deux cantates maçonniques (K 623) qu'il ajoute à son catalogue. La plus grosse partie de son travail sur la messe a été faite avant Titus, durant octobre Mozart achève la fugue du Kyrie et esquisse le Recordare et le Confutatis. Enfin, les esquisses de l'Offertoire et des huit premières mesures du Lacrymosa figurent, elles, sur des feuillets séparés non datés.
De la part d'un compositeur si rapide, seuls de profonds tourments émotionnels, psychologiques et spirituels explique l'inachèvement presque volontaire de l'oeuvre. Le 5 décembre 1991, à minuit cinquante-cinq, "Pamino et Tamina pleurent ; leur plus haut bonheur est étendu dans l'obscurité du tombeau" ; Mozart est mort. Si l'on connaît précisément le devenir de la dépouille du compositeur, l'histoire posthume de son Requiem est bien plus mystérieuse. Constance Mozart, ne pouvant présenter au commanditaire de l'oeuvre les morceaux disparates que son époux avait laissés, décide de faire terminer le Requiem. C'est l'élève Sussmayr qui assurera la majeure partie de l'achèvement de l'oeuvre, celui ci en assumant plus tard bien plus, et lors de l'exécution de la commande chez Walsegg plus de deux ans après la mort de Mozart, celui-ci déclara lui-même être le compositeur de l'oeuvre. Seule la découverte du manuscrit permit de démêler en grande partie le travail de Mozart de celui de Sussmayr, l'hypothèse de l'existence d'éventuelles indications orales données par le maître mourrant à son élève permettant d'entretenir le mystère sur une des oeuvres sacrées les plus célèbres.
Symphonie n°3 en mi bémol majeur, op. 55 - “Héroïque”
Ludwig van BEETHOVEN (1770-1827)
Si la deuxième symphonie de Beethoven marque, selon le musicologue Grove, le "point culminant de l'Ancien régime, pré-révolutionnaire, de Haydn et de Mozart", il ajoute, "point dont Beethoven va partir vers des régions où personne avant lui n'avait même rêvé de s'aventurer", cette remarque s'appliquant à merveille à la troisième symphonie. Celle-ci est en effet une oeuvre de rupture. Si la deuxième fut dédiée au prince Karl de Lichnowsky et est en maints endroits d'une joie débordante, la troisième devait initialement être dédiée à et sous-titrée Bonaparte, mais le couronnement impérial de ce denier ôta la considération que le compositeur portait à ce "fils" de la Révolution française. Le titre définitif souligna ce revirement, l'auteur ayant substitué à la marche triomphale initiale une marche funèbre, enfin le dédicataire fut le prince Lobkowitz chez qui eu lieu la première audition en aout 1804. En outre, la troisième symphonie témoigne, par rapport à la deuxième, de la crise que traverse Beethoven en 1802 à Heiligenstadt, crise dont l'une des causes est l'aggravation de sa surdité. Enfin, cette symphonie marque une rupture de style et fait éclater la structure classique symphonique, elle est d'ailleurs sans doute, à l'époque, la plus longue symphonie jamais écrite.
Des quatre mouvements de la symphonie, trois sont écrits en Mi bémol majeur, le second l'étant dans la tonalité relative de ut mineur, et sur le plan rythmique les mesures ternaires et binaires alternent. L'allegro initial s'ouvre sur deux accords parfaits incisifs. Le premier thème appartient aux violoncelles, dans une douce nuance et l'accompagnement des cordes supérieures. Le deuxième thème est formé d'accords staccato passant du mode majeur à mineur. La complexité du développement du mouvement est un des éléments novateurs formels de cette symphonie. On pourra notamment y noter l'apparition d'un troisième thème, l'utilisation de dissonances répétées, l'importance des cors et une longueur inaccoutumée. Les cors relancent finalement le thème initial pour la coda où l'orchestre exprime toute sa force. La célèbre marche funèbre veut avoir été dirigée par Hans von Bülow les mains gantées de noirs, c'est dire l'éloquence poignante qui imprègne ce mouvement. On doit celle-ci à la parfaite utilisation des timbres, âpreté de la corde grave des violons d'où sort le thème initial, plainte du hautbois solo... Le plan tonal et les contrastes de nuances participent évidemment aussi à l'atmosphère, parvenant à son point culminant à la fin du mouvement où la reprise du thème initial meurt sur l'ultime accord d'ut mineur. Quel violent contraste dès les premières mesures du scherzo. C'est avant tout la fougue qui illumine le mouvement, André Boucourechliev, compositeur et musicologue, écrit à ce propos: "A la vitesse effective du morceau, allegro vivace, les points sonores ne s'entendent pas un à un, ils deviennent étincelles d'une flamme, matière sonore nouvelle, palpitante, qui fuse, qui se déploie et se transforme dans le temps par gerbes entières" Après une puissante et brève introduction, le finale déploie son premier thème, en pizzicati et soumet celui-ci à de multiple variations entraînant un fascinant voyage de la phrase mélodique, devenue le second thème en sol mineur, au sein des pupitres de l'orchestre, empruntant tour à tour les chemins fugués, les decrescendi et les modulations, tandis que l'orchestre se gonfle, conquérant, menant dans un presto inédit à la fanfare triomphale.
Notes de programme de concert mises à jour le vendredi 29 octobre 2010 à 11:33