Symphonie n°6 en fa majeur, op. 68 - “Pastorale”
Ludwig van BEETHOVEN (1770-1827)
La période qui vit naître la sixième symphonie (1806-1810) fut particulièrement prolifique pour le compositeur : il composa ainsi nombre de ses chefs d’oeuvres les plus régulièrement joués encore aujourd’hui (notamment les 4e, 5e, 6e, 7e symphonies, la messe en ut, le concerto pour piano n°4, le concerto pour violon, les trois quatuors opus 59, ou encore la sonate pour piano « Appassionnata »). La Pastorale est un thème littéraire datant de l'Antiquité (nostalgie des citadins pour la nature et, par extension, pour un passé mythique où l'empreinte de l'homme sur la nature était nulle) et évoquant une forme d'harmonie originelle entre l'homme et la nature. La littérature anglo-irlandaise des XVIIe et XVIIIe siècles en particulier en fit grand usage, de même que nombre de compositeurs aussi différents que Bach, Haendel, Vivaldi, Mozart ou le maître de Beethoven, Haydn, dans ses deux oratorios. On ne peut parler de la 6e symphonie « pastorale » (on lit sur la partie de violon « symphonia pastorella » ou « symphonia caracteristica »), sans mentionner sa jumelle, la 5e symphonie. Elles furent tellement liées que les contemporains intervertirent longtemps les opus des deux symphonies.
Toutes deux esquissées en 1806, elles furent composées au cours de l’année 1808, et dédiées conjointement au prince Lobkowitz et au comte Razoumovski, les mécènes de Beethoven. D’ailleurs, les deux oeuvres furent présentées simultanément, dans un concert resté dans les mémoires, le 22 décembre 1808. Si les 5e et 6e symphonies sont indissociables chronologiquement, elles sont pourtant en tout point dissemblables au niveau structurel et surtout thématique. Si la 5e est un modèle de musique « pure », dans laquelle la plupart des caractéristiques de la musique classique est respectée, la 6e s’éloigne du classicisme, annonçant le romantisme et la musique « à programme ». Ces symphonies présentent deux visages et deux conceptions totalement opposées de la vie du compositeur : à « la lutte forcenée et le triomphe de l’homme face à son destin » de la 5e, répond au contraire l’harmonie retrouvée de l’homme face à la nature de la 6e. La 6e symphonie fut un intermède dans l’oeuvre de Beethoven : après cinq années consacrées et dédiées à « l’héroïsme » (dont le sommet reste incontestablement la 3e symphonie dite « Héroïque »), le compositeur s’accorda un retour au calme, au sein d’une nature idyllique, où l’homme et la nature communieraient de nouveau. On est loin, comme le précisa Berlioz dans son étude critique de l’oeuvre de Beethoven, de la nature âpre de Rousseau et des poètes français du siècle des lumières. Pourtant, cette nature idéalisée par Beethoven n’est qu’imaginaire : les biographes s’accordent à dire que le compositeur ne quitta jamais son appartement viennois. D’ailleurs, le sous-titre de la symphonie (« souvenir de la vie champêtre ») permet de confirmer ce détail.
Pourtant, comme chez Proust, cette sensation d’harmonie face à la nature était d’autant plus vive, qu’elle était ranimée par la mémoire, et structurée par l’intelligence, la technique et le génie du compositeur. D’ailleurs, celui-ci insista sur ce point sur plusieurs esquisses de son oeuvre : ce qui importait selon lui, c’était avant tout « l’expression d’un sentiment d’une peinture ». « C’est à l’auditeur de découvrir les situations lui-même […]. Quand elle est poussée trop loin, la peinture musicale perd de sa valeur, […] quinconque possède une idée de la vie à la campagne imaginera les intentions du compositeur sans l’aide de titre ou d’indications préliminaires ». Dans une lettre au poète Gerhard, datée de 1817, le compositeur ajoutait que « la description d’une image appartient à la peinture ; le poète aussi peut s’estimer heureux d’en être capable, son domaine n’est pas aussi restreint que le mien à cet égard ; mais en revanche, le mien s’étend plus loin en d’autres contrées, et on ne peut aussi facilement parvenir à notre empire ». Amoureux de la nature dans laquelle il avait grandi, cet homme solitaire, misanthrope, myope, et bientôt sourd, semblait se retrouver enfin en accord avec luimême dans « l’abondance et l’enchantement de la nature » : « que je suis content dès que je peux errer dans les taillis, dans les forêts, parmi les arbres, les herbes et les rochers ! Aucun homme ne saurait aimer la campagne autant que moi ! ». Beethoven désirait avant tout recréer une ambiance, plutôt que peindre distinctement la nature. Pour ce faire, il eut recours à de nombreux éléments classiques d’harmonie, mais introduisit également de nombreux éléments novateurs repris plus tard par nombre de compositeurs romantiques. C’est ce que nous allons étudier plus précisément.
D’ailleurs, celui-ci insista sur ce point sur plusieurs esquisses de son oeuvre : ce qui importait selon lui, c’était avant tout « l’expression d’un sentiment d’une peinture ». « C’est à l’auditeur de découvrir les situations lui-même […]. Quand elle est poussée trop loin, la peinture musicale perd de sa valeur, […] quinconque possède une idée de la vie à la campagne imaginera les intentions du compositeur sans l’aide de titre ou d’indications préliminaires ». Dans une lettre au poète Gerhard, datée de 1817, le compositeur ajoutait que « la description d’une image appartient à la peinture ; le poète aussi peut s’estimer heureux d’en être capable, son domaine n’est pas aussi restreint que le mien à cet égard ; mais en revanche, le mien s’étend plus loin en d’autres contrées, et on ne peut aussi facilement parvenir à notre empire ». Amoureux de la nature dans laquelle il avait grandi, cet homme solitaire, misanthrope, myope, et bientôt sourd, semblait se retrouver enfin en accord avec luimême dans « l’abondance et l’enchantement de la nature » : « que je suis content dès que je peux errer dans les taillis, dans les forêts, parmi les arbres, les herbes et les rochers ! Aucun homme ne saurait aimer la campagne autant que moi ! ». Beethoven désirait avant tout recréer une ambiance, plutôt que peindre distinctement la nature. Pour ce faire, il eut recours à de nombreux éléments classiques d’harmonie, mais introduisit également de nombreux éléments novateurs repris plus tard par nombre de compositeurs romantiques.
L’Enfance du Christ.
Hector BERLIOZ (1803-1869)
L’Enfance du Christ occupe une place singulière dans l’oeuvre de Berlioz. Elle porte en elle un paradoxe : celui de contraster avec le style habituel du compositeur et pourtant d’avoir été un de ses plus grands succès. L’Enfance du Christ fait partie de ces oeuvres qui furent écrites presque par hasard. Elle ne fut pas conçue d’emblée comme une oeuvre entière mais évolua entre 1850 et 1854 date de son achèvement. La deuxième partie (La Fuite en Egypte) fut écrite en 1850, la troisième à la fin de 1853 et la première partie en 1854. C’est le succès du Repos de la Sainte Famille à Londres en 1853 qui incita Berlioz à élargir et compléter cette oeuvre. Il y ajoute une ouverture Le Songe d’Hérode et une conclusion, L’Arrivée à Saïs, pour former ainsi trois parties (Le Songe d’Hérode, La Fuite en Egypte et l’Arrivée à Saïs). La genèse de l’oeuvre est épisodique, voire loufoque, et hasardeuse. La première page fut écrite en 1850 lors d’une soirée chez un ami, où les invités jouaient au whist, jeu que Berlioz n’affectionnait pas particulièrement. La naïveté et la réussite esthétique de la pièce lui valut d’être donnée en concert, avec une ouverture pour ténor et présentée comme l’oeuvre d’un certain Pierre Ducré, maître de la Sainte- Chapelle de Paris en 1679. C’était en fait un jeu de mot puisqu’il avait composé l’oeuvre chez Pierre Duc, un de ses amis, d’où le nom du compositeur fantoche (Pierre Duc+ré), l’auditoire le crut et applaudit l’ensemble. Une simple plaisanterie devint la partie centrale de l’Enfance du Christ. La première exécution de l’oeuvre achevée eut lieu en décembre 1854 et eut d’emblée un grand succès, au grand dépit de Berlioz lui-même : il considérait ce succès comme « même calomnieux pour (ses) compositions antérieures ».
La critique y avait en effet vu la fin des extravagances de Berlioz, qui proposait enfin une musique plus traditionnelle. Bien que Berlioz lui-même ait nié avoir changé de style, l’Enfance du Christ avait enfin conquis un public parisien rétif aux innovations musicales de Berlioz, public qui avait notamment boudé sa Damnation de Faust (1846), oeuvre centrale du compositeur. Ce fut ainsi une oeuvre à succès qui marqua un coup d’arrêt salvateur aux échecs répétés de Berlioz, qui y trouve un succès financier autant que personnel. L’oeuvre prend comme sujet, non pas la nativité du Christ, mais la manière dont Marie et Joseph réussirent à soustraire l’enfant par leur fuite en Egypte à l’assassinat prémédité par Hérode de tous les nouveaux nés. L’oeuvre se présente plus comme une succession de tableaux (trois) aux atmosphères différentes et la charpente de l’oeuvre révèle un certain déséquilibre : la première partie couvre plus de quarante minutes et est de l’avis des spécialistes la plus réussie ; la seconde ne fait que quinze minutes et il ne s’y passe presque rien. La troisième enfin couvre une bonne demi-heure. Dominée par les cordes et les bois, l’instrumentation est minimaliste, si on la compare aux autres partitions à caractère religieux comme le Requiem ou la Symphonie funèbre et triomphale. Les cordes et les bois dominent alors que les cuivres sont presque absents. Cela explique sans doute pourquoi l’Enfance du Christ contraste avec les autres oeuvres de Berlioz. L’Enfance du Christ est une oeuvre d’une beauté paisible, dont se dégage une forte impression de calme et de recueillement. Berlioz s’est inspiré pour cette oeuvre de ses premières impressions musicales, éprouvées notamment lors de sa première communion. Comme le disait le compositeur à sa soeur, « vraiment c’est bien, c’est naïf et touchant (ne ris pas), c’est dans le genre des enluminures des vieux missels ». Le même critique qui avait critiqué la Symphonie fantastique comme « une violence au langage musical », écrivit que « L’Enfance du Christ est un ravissant oratorio, presque entièrement traité dans une couleur religieuse et suave ; les pages admirables y sont nombreuses, mais il suffirait du Repos de la Sainte Famille pour assurer l’immortalité au musicien qui l’a écrit. »
Le préambule, intimiste, voit le seul récitant accompagné principalement des bois poser le cadre de l’ensemble de l’oeuvre. Le Songe d’Hérode, moment crucial de la première partie, se déroule de nuit et véhicule une ambiance angoissante, celle d’un Roi qui prédit sa chute, dans sans doute un des plus beaux airs de Berlioz. Hérode consulte alors les devins exprimés par un choeur d’hommes qui lui conseillent de faire tuer tous les nouveaux-nés pour préserver son trône. Cette composition de caractère satanique donne une impression inquiétante par la tonalité qui évolue sans cesse et le rythme qui hésite entre une mesure à trois temps et une mesure à quatre temps. En fin de première partie se déroule le duo de Marie et Joseph, d’une grande naïveté musicale, que rend la présence des bois. C’est un air de grande tendresse. La première partie se clôt sur l’avertissement des anges, venus avertir les époux du risque que court leur fils. L’ouverture de la deuxième partie voit une mélodie douce sous forme de fugue introduisant le choeur des bergers adressant leurs adieux à la Sainte Famille. Cet air empreint d’un certain archaïsme est fort de simplicité et de religiosité, alors que Berlioz n’avait de cesse de revendiquer son athéisme. Dans le duo (Marie-Joseph) qui suit, l’économie des moyens est encore de mise dans un passage d’une grande intensité musicale. Pourchassés par des habitants hostiles, les époux implorent la pitié des habitants en leur demandant l’hospitalité, recevant pour toute réponse scandée par le choeur d’hommes : "Arrière vils Hébreux ! Les gens de Rome n'ont que faire de vagabonds et de lépreux." Les supplications de Marie et Joseph sont doublées par le son presque grinçant et aigu des cordes. Les percussions imitent les coups frappés aux portes. Après leur accueil par une famille ismaélite qui voit une fugue mimant les préparatifs des jeunes ismaélites pour les époux épuisés, la pièce se clôt sur un silence musical propre à Berlioz. Le récitant évoque l’enfance du Christ, son âge adulte, sa mort et sa résurrection. L’oeuvre se clôt sur un duo entre le récitant (ténor) et le choeur a capella, dans un moment d’une grande émotion musicale qui suggère un fort apaisement intérieur.
Notes de programme de concert mises à jour le vendredi 29 octobre 2010 à 11:35