La Symphonie fantastique, op. 14
Hector BERLIOZ (1803-1869)
Berlioz assista à Paris en 1827 à une représentation du Hamlet de Shakespeare (bien qu'il ne comprît pas un mot d'anglais). Il tomba amoureux d’une jeune actrice irlandaise, Harriet Smithson, qui jouait dans cette pièce. Ne parvenant pas à la séduire en mots, il conçut le projet de la conquérir en notes. C’est ainsi qu’en 1830, il composa un Épisode de la vie d’un artiste, sous-titré Symphonie fantastique en cinq parties (titre inspiré par les Contes Fantastiques de E.T.A Hoffmann), « une immense composition d’un genre nouveau au moyen de laquelle je tâcherai d’impressionner fortement l’auditoire ». Il expliqua ainsi dans ses Mémoires qu’« immédiatement après ma composition sur Faust [les Huit scènes sur la vie de Faust], et toujours sous l’influence du poème de Gœthe, j’écrivis ma Symphonie fantastique avec beaucoup de peine pour certaines parties, avec une facilité incroyable pour d’autres. »
Achevée le 16 avril 1830, l’œuvre fut créée le 5 décembre 1830 au conservatoire de Paris, sous la direction de François-Antoine Habeneck, devant tous les personnages en vue de la nouvelle monarchie (qu’on appelait « la Jeune France »).
Alors que la date avait été choisie en son honneur, Harriet Smithson n’assista pas à cette Première. Il est difficile de mesurer aujourd’hui le choc que ressentit le public. Berlioz fit le récit de la Première à son père : « Succès extraordinaire. La Symphonie fantastique a été accueillie avec des cris et des trépignements. C’était une fureur ! Liszt, le célèbre pianiste, m’a pour ainsi dire emmené de force dîner chez lui en m’accablant de tout ce que l’enthousiasme a de plus énergique. ». Ledit Liszt « se fit remarquer de tout l’auditoire par ses applaudissements et ses enthousiastes acclamations ». Fétis, critique à la fameuse Revue Musicale écrivit le lendemain : « ce jeune musicien, poussé par son instinct vers une route […] a réalisé une composition fort extraordinaire. Le génie des effets neufs s’y manifeste de la manière la plus évidente et annonce une imagination vaste. Enfin, on y trouve une physionomie individuelle prononcée, en dehors des formes ordinaires de l’art ». Il est évident que l’esprit de liberté qui a inauguré la Monarchie de Juillet a favorisé l’éclosion de la Symphonie fantastique, comme de la bataille d’Hernani : il reconnut d’ailleurs qu’il « était parvenu à ce que [il] désirait dix fois plus tôt que sans cette révolution, faite exprès pour les arts ».
Deux ans plus tard, l’orchestre du conservatoire interpréta la Symphonie fantastique devant la jeune génération d’artistes romantiques, Harriet Smithson et Heinrich Heine. Ce dernier raconta par la suite que « Berlioz, à la chevelure ébouriffée, jouait les timbales tout en regardant l'actrice d'un visage obsédé et chaque fois que leurs yeux se rencontraient, il frappait encore d'une plus grande vigueur ». Berlioz réussit finalement, grâce à son œuvre, à séduire puis, plus tard, à épouser la jeune actrice. Le compositeur remania son œuvre à plusieurs reprises : une première fois lors de son voyage en Italie, en 1831, puis une seconde fois en 1845, pour la première édition. L’œuvre originelle de 1830, très différente de celle connue aujourd’hui, est impossible à reconstituer. Chef-d’œuvre révolutionnaire, que certains ont considéré comme la « charte de la musique romantique », la Symphonie Fantastique marque une étape décisive dans la carrière du compositeur : elle est à la fois l’aboutissement de ses années d’apprentissage et l’explosion d’une maturité symphonique. Si l’on y perçoit indéniablement l’influence de la Neuvième Symphonie de Beethoven quasi-contemporaine (publiée sept ans auparavant), le style et l’originalité de Berlioz s’expriment largement dans cette pièce.
Requiem, op. 9
Maurice DURUFLÉ (1902-1986)
Renouvelant une tradition ancestrale, le Requiem de Duruflé (1947) apparaît clairement comme un anachronisme à une époque où sérialisme et électro-acousmatique se partageaient les faveurs des compositeurs. Le requiem est un genre musical religieux et vocal souvent interprété par un chœur et joué lors des enterrements. Le terme « Requiem » est en fait le premier mot du rituel de la messe des morts en latin : Requiem æternam donna eis Dominum (« Seigneur, donne-leur le repos éternel »). Le requiem diffère de la messe ordinaire par l’absence de Gloria et de Credo.
L’école de la cathédrale de Rouen, dans laquelle Duruflé avait suivi ses premières années d’instruction musicale, possédait l’un des plus grands fonds de plain-chant grégorien d’Europe. Dès ses plus jeunes années, le jeune compositeur avait pu admirer cette forme musicale qu’il considérait comme la meilleure pour accéder à la méditation et à la spiritualité.
Lorsque son éditeur (Auguste Durand) lui passa commande d’un Requiem, Duruflé était en train de composer une suite pour orgue en plain-chant ; il décida d’utiliser ces pièces. Ainsi, il expliqua : « mon Requiem terminé en 1947 est entièrement composé sur les thèmes grégoriens de la Messe des morts. D’une façon générale, j’ai surtout cherché à me pénétrer du style particulier des thèmes grégoriens : ainsi me suis-je efforcé de concilier, dans la mesure du possible, la rythmique grégorienne – telle qu’elle a été fixée par les Bénédictins de Solesmes – avec les exigences de la mesure moderne. Quant à la forme musicale de chacune de ces pièces, elle s’inspire généralement de la forme même proposée par la liturgie ».
La force de l’œuvre de Duruflé réside en effet dans la fusion des éléments de plain-chant avec le subtil contrepoint harmonique et les couleurs expressionnistes modernes de Fauré, Debussy, Ravel et, dans une moindre mesure, de Dukas. L’influence du Requiem de Fauré est incontestable : l’approche et le contenu des textes (qui sont extraits de la liturgie protestante), la structure rythmique et mélodique, le caractère dépouillé de l’œuvre, sont autant de liens très nets avec l’œuvre de son professeur au Conservatoire de Paris.
Pourtant, là où Fauré respecta strictement les textes originels, Duruflé s’autorisa des libertés : « tantôt le texte a été respecté intégralement, la partie orchestrale n’intervenant que pour soutenir ou le commenter ; tantôt je m’en suis simplement inspiré, ou complètement éloigné – par exemple dans certains développements suggérés par le texte latin, notamment dans le Domine Jesu Christe, le Sanctus et le Libera Me ».
Cette messe pour chœur mixte, mezzo soprano solo, baryton solo accompagnés d’un orchestre réduit (bois par trois), comporte neuf parties très courtes et dure environ 35 minutes.
Notes de programme de concert mises à jour le jeudi 25 novembre 2010 à 13:41