La Moldau
Bedrich SMETANA (1824-1884)
Dans le courant du XIXe siècle, un large mouvement d'aspiration nationale se développa à travers l'Europe. Bedrich Smetana fut ainsi le premier grand compositeur tchèque à imposer une tradition mu- sicale tchèque (dont le plus illustre successeur fut Anton Dvořak), au moment où la nation venait de gagner son indépendance. Cinq années – de 1875 à 1880 – furent nécessaires au compositeur, alors sourd, pour entreprendre la composition d'une impression- nante fresque en six poèmes symphoniques : Ma Vlast, Ma patrie, présentant tout à la fois les personnages, les hauts lieux, et les paysages de la Bohème. Vltava (prononcer Veltava) – le nom tchèque de la Moldau – est composée entre juin et août 1875 et présente le cheminement de la Vltava, de sa source jusqu'à l'Elbe en passant par Prague. La pièce fut donnée pour la première fois en concert à Prague, en octobre de la même année, sous la direction du compositeur.
Ce dernier insista largement dans sa correspondance sur le caractère symbolique du fleuve : élément géographiquement unificateur, il représentait également la liberté de la jeune nation, après plusieurs siècles de domination du Saint-Empire puis de l'Empire Austro-Hongrois. Il écrivit un court argument pour expliciter les différents moments musicaux : « deux petites sources jaillissent à l'ombre de la forêt Sumava, l'une chaude et agile, l'autre froide et endormie. Elles s'unissent. Dans sa course hâtive, le torrent devient une petite rivière, la Vltava, qui se met en route à travers le pays tchèque. Elle traverse les noires forêts où retentissent les sonneries d'une chasse. Elle traverse les fraîches prairies où le peuple chante et au danse au son des notes campagnardes. Au clair de lune, les fées des eaux, les roussalkas, y rondent et s'y ébattent sur le flot argenté, dans lequel plus loin se mirent les châteaux revêches, contemporains de la vieille gloire et des vertus guerrières. Dans les défilés de Saint-Jean, elle écume en cascade, se faufile à travers les rochers et fend les vagues contre les rochers épars. Puis s'étalant dans son lit élargi, elle roule majestueusement vers Prague, où l'accueille Vysehrad, antique et solennel. Ici, en pleine force et gloire, le Vysehrad se perd aux yeux du poète dans les lointains infinis ».
Messe n°17 en ut mineur, K.427 "Grande Messe"
Wolfgang Amadeus MOZART (1756-1791)
Le 4 janvier 1783, dans une lettre adressée à son père, Mozart s’excuse de ne pas avoir envoyé plus tôt ses vœux de bonne année. Récemment marié à Constance Weber sans l’accord paternel, il dit vouloir se rendre à Salzbourg durant l’été afin de présenter son épouse à sa famille. Cette lettre évoque également une messe encore inachevée, très probablement la Messe en ut mineur K 427. Il pourrait s’agir d’une composition écrite en reconnaissance de la guérison de Constance, de son mariage ou encore de la naissance de leur premier enfant. Le journal de la sœur de Mozart évoque également une messe écrite par Wolfgang et exécutée à Salzbourg le 26 octobre de la même année.
Il s’agit ici encore de la Messe en ut mineur, toujours inachevée. Mozart ne terminera d’ailleurs jamais le Credo et l’Agnus Dei. Il reprendra néanmoins certaines thématiques de cette messe dans sa cantate Davidde penitente, composée en 1785. La Messe en ut mineur reflète l’intérêt que Mozart portait aux musiques de Haëndel et Bach. L’un des protecteurs, le Baron van Swieten l’avait en effet encouragé à explorer ces créations majeures. L’œuvre est écrite pour deux hautbois, deux bassons, deux cors, deux trompettes et timbales, trois trombones, cordes et orgue continuo.
Après une très courte introduction orchestrale, les quatre sections vocales font leur entrée en imitation, et le mouvement se développe dans un style conservateur et triomphant, que l’archevêque de Salzbourg aurait certainement désapprouvé. La soprano soliste introduit le Christe italianisant et chargé, et la texture chorale revient pour le Kyrie final. Le Gloria commence en Do Majeur et son style fugué ne semble se modérer qu’aux seuls mots pax homonibus bonae voluntatis (paix aux hommes de bonne volonté). Le Laudamus te, Allegro aperto est en Fa Majeur. Il est écrit pour soprano solo, hautbois, cors et cordes dans un style opératique. Les trombones et les bassons réapparaissent pour l’Adagio en La mineur du Gratias agimus tibi, accompagnant le chœur à cinq voix.
L’effet de contraste est immédiat avec le Domine Deus, Rex caelistis, écrit pour deux sopranos solistes et cordes. A Salzbourg, il est probable que la deuxième voix de soprano était chantée par un castrat employé à la cour, accentuant davantage encore le changement d’atmosphère. Le Qui tollis peccata mundi en sol mineur, plus traditionnellement baroque avec ses rythmes surpointés, est écrit pour deux chœurs à quatre voix et l’orchestre au complet. Le ténor soliste se joint aux deux sopranos pour le Quoniam tu solus Dominus en mi mineur qui exclut les trombones et les cors. L’esprit de Händel se dessine derrière cette entrée en imitation. Après le bref Adagio choral en Do Majeur pour les mots Jesu Christe, le Cum Sancto Spiritu développe une fugue splendide dans la même tonalité.
Romeo et Juliette - suite n°1 & suite n°2, op. 64b
Sergueï PROKOFIEV (1891-1953)
En 1934, Prokofiev était de retour en URSS, après quinze ans passés aux Etats-Unis. Très vite, les grandes institutions russes se pressè- rent autour du compositeur. Parmi elles, le Théâtre de Moscou lui commanda un nouveau ballet, avec carte blanche pour le thème et crédits illimités. Prokofiev, sensible aux sujets shakespeariens comme nombre de compositeurs russes de l’époque, décida de composer son cinquième ballet sur le thème de Roméo et Juliette. Il choisit de collaborer avec le metteur en scène Radlov, spécialiste de Tchaïkovski et très à la mode ainsi que le chorégraphe Lavrovski. L’intensité dramatique et dramaturgique (chère à Prokofiev) de l’œuvre se prêtait aisément à un traitement musical. L’ensemble de l’œuvre fut composé rapidement, en moins d’un an. Prokofiev envi- sagea un temps de ressusciter l’héroïne. Il s’en justifia auprès d’un de ses amis : « les raisons qui nous avaient poussés à cet acte barbare étaient purement chorégraphiques : des vivants peuvent danser, des mourants gisant à terre, non ! ».
Toutefois, son amour de la pièce et sa difficulté à composer cette dernière partie le contraignirent à renoncer à cette idée. Cependant, le ballet fut jugé trop compliqué pour être dansé, et surtout trop long (plus de deux heures trente) par les spécialistes russes. Aussi, il ne fut pas créé à Moscou comme prévu, mais à Brno, en Tchécoslovaquie, et seulement en 1938. Deux ans plus tard, le ballet fut finalement présenté par la troupe du Bolchoï à Léningrad, et connut un succès retentissant. Pour permettre la diffusion de son œuvre, Prokofiev composa en 1935 deux suites pour orchestre, en sept mouvements chacun, qu’il sous-titra op. 64 bis et ter. La Deuxième suite, que vous entendrez ce soir, fut donnée pour la première fois en 1937 à Leningrad (avant la Première du ballet !).
Notes de programme de concert mises à jour le mercredi 27 octobre 2010 à 18:01