Zadok the Priest, HWV 258
Georg Friedrich HAENDEL (1685-1759)
Des quatre hymnes composés par Haendel pour le couronnement de George II le 11 octobre 1727, le plus célèbre et le plus saisissant est sans aucun doute celui qui accompagna l’onction du souverain : Zadok the Priest. C’est par un concours de circonstances qu’Haendel se trouve en charge de composer la musique de cette célébration : il était d’usage alors qu’une telle responsabilité échût à l’organiste de la Chapelle Royale au titre de ses attributions, mais le poste étant vacant à cette période, la couronne s’en remit au musicien le plus en vue de Grande Bretagne.
Bien qu’appartenant à la tradition du cérémonial britannique, les textes des quatre hymnes furent choisis par Haendel lui-même. Ce faisant, le compositeur s’écarte quelque peu des codes en vigueur, en remaniant en premier lieu le livret du texte à la grande consternation du clergé présent. Tiré du chapitre premier du Livre des rois de l’Ancien testament, le texte a été adapté précédemment pour les couronnements de Charles II en 1661 et en 1685 pour celui de James II. En 1727 le texte biblique, bien que dérivé du récit du sacre de Salomon, n'est pas directement cité mais paraphrasé, probablement par le compositeur en personne. La cérémonie qui doit se tenir à l’abbaye de Westminster s’annonce grandiose et verra se déployer tout le faste et la munificence de la couronne. Pour l’occasion, Haendel mobilise un nombre d’exécutants considérable et inédit pour l’époque : quarante choristes et jusqu’à cent soixante instrumentistes au nombre desquels des trompettistes, hautboïstes, bassonistes et timbaliers.
Haendel livre ainsi une œuvre beaucoup plus élaborée et saisissante que ses prédécesseurs. La solennité et la majesté de la pièce résident principalement dans son ouverture un mouvement particulièrement haendélien où la tension monte inexorablement à travers une introduction d'arpèges des cordes et une pulsation douce rythmée par des accords donnés par les vents, la sérénité de l’ensemble se trouvant subitement brisée par l’irruption grandiose et soudaine du chœur. Dans la première phrase l’usage de notes longues (noires et blanches) souligne la majesté qui caractérise l’annonce du sujet (« Zadok the Priest and Nathan the Prophet annointed Solomon King »). La deuxième phrase (« And all the people rejoic'd and said ») imite la forme de la danse sur un rythme 3/4, tandis que les cordes jouent sur un rythme saccadé. Le final "God save the King" est un retour au tempo primo (4/4). La section "God Save the King" est chantée à l’unisson, entrecoupée par des Amens sur des longues séries de doubles-croches, reprises par chacune des six voix (SAATBB), les autres voix les accompagnant sur des croches. Le chœur se conclut avec une cadence largo baroque sur l'Alleluia.
Le caractère monumental et solennel de la pièce lui a assuré d’être donnée à chaque couronnement des souverains britanniques depuis lors. L’œuvre est inextricablement liée au sentiment national, grandissant sous le règne de George II, d’une nation sûre d’elle-même. Haendel l’utilisera de nouveau en remaniant le texte dans le final de The Occasional Oratorio , œuvre patriotique composée en 1746 pour soutenir le moral d’une nation déchirée par les révoltes jacobites1.
Le Messie, HWV 56
Georg Friedrich HAENDEL (1685-1759)
En 1741, Haendel est au faîte de son art et ses opéras à l’italienne lui ont acquis les faveurs du public londonien. Pourtant, éprouvé par deux banqueroutes successives, endetté et malade, sa passion pour l’opéra lui a laissé un goût amer et ses compositions explorent depuis quelques années la veine de l’oratorio (il en compose un par an entre 1736 et 1751), un drame non mis en scène, employant les mêmes éléments musicodramatiques que l’opéra (récitatif, arioso, aria, ensemble soliste, choeur et personnifications dramatiques) mais sans l’artifice des décors, des costumes et des déplacements sur scène.
Cet été là, il séjourne à Gopsall Hall dans le Leicestershire, la résidence secondaire de Charles Jennens, figure littéraire de son temps, amateur de musique et adepte fervent de la Haute Église anglicane, qui nourrit un grand intérêt pour la théologie, comme l’atteste l’imposante collection de livres sur le messianisme que renferme sa bibliothèque. Inspiré par les textes de l’Ancien Testament (tiré pour l’essentiel de la version anglaise de la Bible autorisée en 1611 des livres d’Isaiah, de Luc, de Matthieu, de Jean et de Job), Jennens a compilé un livret extrêmement riche, offrant un cadre de méditation qui évoque toute la vie et l’oeuvre du Christ : les prophéties de Sa venue ; Sa naissance et l’allégresse qui l’a accompagnée ; Sa vie ; la Passion ; la Résurrection ; et l’espoir de Son retour. Le mot Messie vient de l'hébreu mashia'h et trouve son origine dans la religion juive avant d'avoir été adopté par le christianisme. Il signifie “oint du Seigneur”. Pour les chrétiens, il désigne Jésus-Christ. Illustrant l’ensemble des mystères de la foi chrétienne, ce livret magnifie la doctrine selon laquelle Jésus Christ est bien Le Messie annoncé par le prophète.
Jennens confie son livret à son hôte, qui en moins de vingt-quatre jours en tire un oratorio lumineux, alternant fugues et passages déclamatoires accompagnés de parties pour cordes écrites dans un style rappelant le concerto. Brillantes et abondantes, les parties pour choeur vont de textures simples et homophones à différentes formes de compositions mêlées alliant fugues et imitations. La pièce ne fait appel qu’à des chanteurs et des choeurs anonymes. Aucun personnage n’est représenté, pas même le Christ, dont aucune des paroles n’est citée.
Travaillant vite comme à son habitude (Theodora a été composé en cinq semaines et Tamerlano en vint jours), Haendel a puisé librement dans ses oeuvres antérieures comme nombre de ses contemporains tels que Telemann ou Rameau. L'importance de sa production va de pair avec une réutilisation fréquente de ses thèmes les plus réussis, qu'il n'est pas rare de retrouver parfois à l'identique dans plusieurs oeuvres, éventuellement transcrits ou transposés… Le même thème peut passer d'une sonate en trio à un concerto grosso, à un concerto pour orgue, à une cantate. Il n'hésite pas, par ailleurs, à utiliser des thèmes d'autres compositeurs tels que François Couperin, Georg Muffat, Johann Kuhnau, Johann Kaspar Kerll entre autres. Cette pratique courante à cette époque est également utilisée par Bach. Pourtant, Le Messie lui ne sera jamais “pillé” de la sorte dans les oeuvres postérieures du compositeur.
Remaniée à plusieurs reprises pour s’adapter aux circonstances d’exécution et aux capacités des musiciens, la partition subsiste encore aujourd’hui en différentes versions. Néanmoins les parties pour choeur que vous allez entendre ce soir sont l’unique version existante. À l’instar des autres oratorios de Handel, Le Messie est divisé en trois parties :
- Ancien Testament : les prophéties de l'arrivée du Christ, de l'Annonciation et de la Nativité.
- Ancien et Nouveau Testaments : la Passion, la Résurrection et l'Ascension du Christ.
- Nouveau Testament : la Résurrection de l'âme chrétienne.
Composée pour être donnée pendant la période du Carême, la première du Messie a lieu le printemps suivant sa composition en Irlande, où Haendel séjourne à l’invitation du Lord Lieutenant Général, le 13 avril 1742 lors d'un gala de charité au Temple Bar de Dublin. L’oratorio y rencontre un vif succès. L'innovation de Haendel est de mettre à la disposition de la prédication le ressort dramatique et musical de l'opéra. Bien que considéré comme un “oratorio sacré”, Le Messie est résolument sorti de l'église et destiné également à la scène. Le renversement opéré par Haendel lui permet d'atteindre une dimension nouvelle par une large amplification théâtrale, qui laisse libre cours à sa volonté de chercher un succès auprès de l'auditoire. Autre nouveauté pour l’époque la partition accorde un rôle beaucoup plus important au choeur (vingt mouvements sur les cinquante- deux que comptent l’oeuvre).
Notes :- Les révoltes jacobites sont une série de soulèvements, de rébellions et de guerres dans les îles Britanniques entre 1688 et 1746. Les soulèvements visent à ramener Jacques VII d'Écosse et II d'Angleterre, puis ses descendants de la Maison de Stuart, sur le trône dont ils ont été privés par le Parlement après la Glorieuse Révolution de 1688.
- Stefan ZWEIG, La résurrection de Georges-Frédéric Haendel, extrait du recueil Les heures étoilées de l’humanité, Paris, Grasset, 1939. Traduit de l’allemand par Alzir Hella.
Notes de programme de concert mises à jour le mercredi 27 octobre 2010 à 14:12