The Ballad of Little Musgrave and Lady Barnard
Benjamin BRITTEN (1913-1976)
Composé en décembre 1943, en pleine création de Peter Grimes, opéra le plus célèbre de Britten, The Ballad of Little Musgrave and Lady Barnard, véritable « opéra dans un dé à coudre » d'après Xavier de Gaulle, l'un de ses biographes, est dédié à Richard Wood, prisonnier de guerre détenu en Allemagne et ami du compositeur. Britten y exploite déjà les techniques qu'il met en oeuvre dans ses opéras des années 1950, tout en faisant appel à la forme traditionnelle de la ballade. La pièce explore le thème de l'adultère et de la vengeance à partir d'une ancienne ballade écossaise anonyme, puisée dans l'Oxford Book of Ballads. Le texte nous transporte dans l'écosse des XVe et XVIe siècles, sur les marches des deux royaumes anglais et écossais, région frontalière instable en proie à des querelles et rivalités entre quelques familles insoumises qui s'affrontaient pour la garde des troupeaux, en un cycle ininterrompu de raids, rapts et représailles sanglantes. Une pratique en cours à l'époque pour accroître son cheptel consistait à détourner les troupeaux des familles rivales et dérober ainsi leurs bêtes.
Ces familles ignoraient toutes lois, si ce n'est celle du clan, et ne reconnaissaient aucune allégeance, anglaise ou écossaise, malgré les tentatives de restauration de l'ordre entreprises par les deux couronnes. L'une de ces familles était celle des Musgrave, qui laissa son nom au village de Great Musgrave et de Little Musgrave dans le North Yorkshire actuel. On doit au folkloriste du XIXe siècle Francis James Child, auteur d'une compilation de balades populaires écossaises et anglaises, d'avoir redécouvert ce texte datant de 1611. L'oeuvre présente trois scènes aux atmosphères musicales très différentes. La scène initiale a lieu sous le porche d'une église et décrit la rencontre entre Lady Barnard et Little Musgrave. Un rythme lent et solennel marqué par un accompagnement simple de quintes imite les cloches qui résonnent lors de cette déclaration d'amour mutuel et la fuite des deux amants. Le rythme effréné du piano comme des choeurs étagés décrit ensuite la course du page qui a entendu les aveux passionnés des deux amants et court prévenir son maître ; cette trahison est suivie par la course du maître vers le refuge des deux amants.
La violence et la rapidité sont figurées par la succession rapide de triolets imitant la course des chevaux. Le même rythme caractérise la scène du duel fatal entre Lord Barnard et Little musgrave qui s'achève sur la mort des deux amants. La Coda voit le retour de la pulsation régulière et du choeur à l'unisson dans une atmosphère de lamentation du maître, qui a tué non seulement l'amant, mais aussi Lady Barnard, la plus belle femme qui soit. La pièce fait preuve d'une richesse rythmique et harmonique étonnante, où piano et choeurs se répondent sans cesse, tout en conservant des passages a cappella, ce qui donne une grande force au conte tragique présenté par Britten. Les raisons du choix de ce texte par Britten demeurent inconnues. Peut-être l'esprit d'insoumission, d'insubordination et d'irrévérence de la pièce devait-il offrir, à défaut de toute perspective réelle d'évasion, une évasion musicale aux détenus de l'Oflag VIIb d'Eichstätt, lorsqu'ils interprétèrent pour la première fois en février 1944 cette pièce pour choeur d'hommes et piano.
Les Saisons "Die Jahreszeiten" (extraits), H. 21/3
Franz Joseph HAYDN (1732-1809)
Les Saisons, oratorio de J. Haydn, trouvent leur origine dans le succès immense de La Création, premier oratorio de Haydn créé en mars 1799. Le baron von Swieten livre très tôt à Haydn le livret support aux Saisons, fondé sur le célèbre poème de James Thomson (poète écossais du XVIII° siècle). Néanmoins, contrairement à La Création qui exploite le texte biblique de la Genèse, Les Saisons ne sont pas un oratorio à proprement parler : par définition, un oratorio est une œuvre morale, fondée sur des textes pieux, et ayant pour objet l’édification des fidèles.
Très tôt d’ailleurs, les critiques viennois se manifestent en ce sens et reprochent au librettiste d’avoir détourné le texte de Thomson pour en rehausser le potentiel dramatique. Quoique adepte du déisme, Swieten n’anéantit pas tout aspect religieux de son texte, car Dieu est bel et bien le destinataire distant des différentes invocations qu’offre le livret. Le chœur joue ici un rôle analogue à celui de la foule dans les opéras baroques. Le texte traite en effet des réactions de l’homme face à la Nature, comme expression d’un pouvoir divin. Les trois personnages solistes, Simon le fermier (baryton) et sa fille Hanne (soprano), ainsi que le jeune promis de cette dernière, Lukas, se rattachent davantage à la tradition du Singspiel germanique : ils servent d’intermédiaire entre les auditeurs et les pouvoirs divins. Leur langage simple, voire naïf, assorti de mélodies aux caractéristiques identiques, fait davantage référence à la tradition populaire, alors que le chœur explore des voies lyriques plus savantes, en correspondance avec des thèmes plus nobles.
Il est ici intéressant de noter qu’une décennie à peine sépare la création des Saisons d’une part, et de la Symphonie Pastorale (n°6) de Beethoven d’autre part. A thématique identique, ces deux œuvres divergent néanmoins quant aux éléments musicaux retenus : fresque picturale pour Haydn et expression des sentiments et ressentis pour Beethoven. Chez le premier, le dessin s’élabore sûrement pour l’auditeur attentif. Haydn jette dans l’écriture des Saisons ses dernières forces : deux années de travail lui sont nécessaires pour achever cette œuvre. Comme attendu, les Saisons se divisent en quatre parties. Un orchestre classique accompagne le chœur, qui voit son utilisation enrichie de deux nouveaux procédés, à savoir la mise en opposition de chœurs féminins et masculins, et le recours à un double chœur.
Notes de programme de concert mises à jour le mardi 26 octobre 2010 à 14:29