La Création (Die Schöpfung)
Franz Joseph HAYDN (1732-1809)
Circonstances de composition Haydn fit deux importants voyages à Londres sur invitation de Johann-Peter Salomon. Ce violoniste allemand, ancien Maître de concert du prince Henri de Prusse, était devenu un grand entrepreneur de concerts londoniens. Lors de son premier voyage, en 1791, Haydn eut la grande joie de pouvoir assister pendant une semaine à un festival Haendel donné à l'abbaye de Westminster. A cette occasion, de grands moyens furent mis en oeuvres puisque quatre concerts furent donnés réunissant plus de mille exécutants. Haydn entendit ainsi Le messie et Israël en Egypte, et put mesurer le succès du genre oratorio en Angleterre. Lors de son second voyage, Salomon offre à Haydn un livret intitulé : « La création du monde », livret anonyme écrit cinquante ans auparavant probablement pour Haendel qui ne le mit jamais en musique. Il s'inspire de plusieurs sources : les deux premiers chapitres de la Genèse, Le paradis perdu de Milton et les psaumes XIX, CIV et CXIX. De retour à Vienne, Haydn présente ce texte, au baron Gottfried van Swieten, personnage important du mécénat musical viennois, directeur artistique de la Gesellschaft der Associierten à qui Mozart dût la commande des réorchestrations des oratorios haendeliens Le Messie, Les fêtes d'Alexandre, Acis et Galatée et l'Ode pour la Sainte Cécile.
Van Swieten s'attelle alors à la traduction en allemand et l'adaptation du livret, tout en prévoyant la possibilité de faire jouer l'oeuvre en anglais. Le livret fut achevé fin 1796 et la société musicale finança la commande de l'oeuvre auprès d'Haydn. Celui-ci y travailla pendant environ deux ans, les nombreuses retouches qu'il fit témoignent de l'effort important qu'investit le vieux maître dans cette partition. L'oeuvre fut définitivement achevée à l'automne 1797 et les premières représentations sur invitation eurent lieu chez le prince Schwarzenberg les 29 et 30 avril 1798, elles provoquèrent des attroupements tels que les autorités durent contraindre à la fermeture les boutiques avoisinantes et dédommager les marchands. Haydn était à la baguette et Salieri au clavecin. On donna deux autres exécutions privées les 2 et 4 mars de l'année suivante avant d'organiser la première publique tant attendue le 19 mars 1799 au Burgtheater de Vienne. Le concert se joua à guichet fermé et l'oeuvre partie en tournée dans toutes les capitales européennes : Londres, Paris, Budapest, Saint- Pétersbourg, Stockholm. En 1808, l'Université de Vienne organisa une exécution de l'oeuvre pour fêter les soixante- seize ans du compositeur. Salieri dirigeait et lorsque le public entendit la célèbre cadence de do majeur accompagnant l'apparition de la lumière « Es war Licht », il applaudit à tout rompre le vieux maître que l'on avait transporté sur un fauteuil face à l'orchestre. Beethoven se mit à genoux devant son ancien professeur en le couvrant de baisers.
L'oratorio se divise en trois grandes parties : la première se déroule durant les quatre premiers jours et est consacré aux éléments : premier jour, création du ciel, de la terre et de la lumière ; deuxième jour, division des eaux ; troisième jour, installation des terres, des mers et des végétaux ; quatrième jour, mise en place de la lune, du soleil et des étoiles. La deuxième partie traite des animaux et des hommes : cinquième jour, création des créatures aquatiques et aériennes; sixième jour, création des créatures terrestres et des deux premiers êtres humains. La troisième partie, plus courte que les deux précédentes, est consacré au couple Adam et Eve et au paradis terrestre. Cinq personnages apparaissent au cours de l'oratorio : trois archanges, Uriel, Gabriel et Raphaël et le couple d'humains Adam et Eve dans la troisième partie. Les rôles des trois archanges sont confiés à trois voix différentes, soprano pour Gabriel, Ténor pour Uriel et basse pour Raphaël, tandis que le couple humain est confié à un duo soprano - basse. Les deux premières parties de l'ouvrage sont donc consacrées aux six journées de la création divine du monde. Chacune de ces journées est généralement organisée de la manière suivante : Un récitatif sec (i.e. avec accompagnement unique du continuo formé de la ligne de basse du violoncelle et des accords du clavecin) ou accompagné dans lequel l'archange rapporte les paroles divine à la manière des évangélistes des Passions de Bach ; suit alors un commentaire ou une exaltation des paroles du récitatif introductif sous la forme d'un air , d'un arioso ou d'un récitatif accompagné ; chacune des journées se termine par un grand choeur de louange.
Malgré cet apparent schéma, Haydn garde une grande liberté et l'on est bien loin de la rigueur du deuxième quart du dix-huitième siècle et son immuable enchaînement récitatif sec - aria da capo (i.e. air avec reprise de la première partie de l'air). Haydn utilise toute la gamme de l'expression vocale de l'époque, n'oublions pas qu'il a été un grand compositeur d'opéras aussi bien dans le genre bouffe que « giocoso » ou « séria », durant son contrat à la cour Esterhazy. N'oublions pas non plus son immense succès comme symphoniste se traduisant par un travail toute en finesse et en variété de l'écriture des accompagnements, sans parler de la somptueuse ouverture « La représentation du Chaos » et de la surprenante apparition de la lumière, un fortissimo dont Haydn avait gardé le secret jusqu'à la première exécution de l'oeuvre. Parmi les nombreuses images musicales qu'Haydn nous propose, citons l'orage lors du premier récitatif de Raphaël, accompagné principalement par les flûtes, l'apparition du soleil lors du récitatif accompagné d'Uriel n°13 qui se traduit par un crescendo par entrée successive et superposition des hautbois, bassons, seconds violons, altos et violoncelles, ou encore l'évocation des oiseaux dans le premier air de Gabriel de la deuxième partie, évocation qu'Haydn confie à la clarinette dont il est le grand émancipateur au sein de l'orchestre. En pleine époque du Sturm und Drang, cet oratorio préfigure les poèmes symphoniques de l'air romantique par la richesse des sensations qu'il procure. Haydn aborde avec humilité et jubilation un des grands thèmes fondateurs de l'humanité et nous offre ainsi, dans la force de l'âge, un véritable chef d'oeuvre.
Notes de programme de concert mises à jour le jeudi 28 octobre 2010 à 17:38