Stabat Mater
Francis POULENC (1899-1963)
Le Stabat Mater est dédié à la mémoire du peintre et décorateur de théâtre Christian Bérard. Celui-ci meurt le 12 février 1949 dans la salle du Théâtre Marigny, lors de la présentation de son décor des Fourberies de Scapin, dont Louis Jouvet avait fait la mise en scène pour la troupe de JeanLouis Barrault et Madeleine Renaud.
« Dès la mort de Christian Bérard, je décidai d'écrire à sa mémoire une oeuvre religieuse. J'avais d'abord songé à un Requiem, mais je trouvais cela trop pompeux. C'est alors que j'eus l'idée d'une prière intercessionnelle, et que le texte bouleversant du Stabat me parut tout indiqué pour confier à Notre-Dame de Rocamadour l'âme du cher Bérard. »
C'est en effet à Rocamadour, qu'il découvrit lors de l'été 1936, que Poulenc compose son oeuvre en à peine deux mois. Le Stabat Mater est créé le 13 juin 1951 lors du Festival de Strasbourg sous la baguette de Fritz Münch.
La composition de l'oeuvre se situe chronologiquement entre celle de la Messe et celle du Gloria, deux de ses autres grandes pièces religieuses. Le Stabat est divisé en douze sections dont la première audition révèle assez clairement l'alternance presque systématique de sections calmes (1, 3, 4, 6, 8, 10, 12) et de sections animées (2, 5, 7, 9, 11). Claude Rostand, dans ses entretiens radiophoniques avec le compositeur, explique ainsi que les premières oeuvres du maître « font penser aux églises romanes, alors que le Stabat Mater semble plutôt évoquer le style jésuite français, c'est-à-dire restant sobre tout en étant cependant orné » .
La grande variété d'écriture, ainsi que l'utilisation d'un effectif orchestral et choral inédit (2 flûtes, piccolo, 2 hautbois, cor anglais, 2 clarinettes, clarinette basse, 3 bassons, 4 cors, 3 trompettes, 3 trombones, timbales, 2 harpes, choeur à 5 voix, soprano solo), sont les marques de l'évolution du style religieux de Poulenc. L'écriture harmonique de cette pièce est d'une complexité rivalisant presque avec celle de sa Messe, pourtant les grappes de dièses et de bémols n'agressent jamais l'auditeur ; au contraire ces modulations permanentes sont stupéfiantes de naturel et surtout de souplesse, les altérations étant souvent issues de jeux d'enharmonie et d'ambiguïtés tonales ou modales.
A de nombreuses reprises, Poulenc souligne musicalement, avec une grande puissance expressive, les mots importants du texte (« Gladius » [1], « Benedictus » [2], « Quis ? Quis ? » [5], « Morientem, desolatum » [6]...) celui-ci est d'ailleurs toujours nettement intelligible et la musique est là pour en accentuer l'émotion et les valeurs contemplatives. Parmi les pages les plus brillantes de l'oeuvre citons le cinglant et grinçant Cujus animam gementem, le pastoral Quae moerebat, l'entrée du soprano solo dans le Vidit suum, le clair-obscur Sancta Mater passant de la douloureuse évocation de la crucifixion à l'illumination sur le nom de la Vierge, et enfin le paradisiaque final Quando corpus morietur, consacrant l'épanouissement lumineux de l'oeuvre.
La Symphonie en ré mineur
César FRANCK (1822-1890)
"La symphonie du père Franck est ébouriffante" voici comment le jeune Claude Debussy, qui n'appartient pourtant pas à la famille musicale du "père Franck", reçoit la première écoute de ce chef d'oeuvre.
C'est à soixante-six ans que César Franck compose son unique symphonie. Elle se situe chronologiquement entre la Sonate pour violon et piano et le Quatuor à cordes. En France, l'écriture orchestrale est à cette époque assez moribonde, la mode étant aux ouvrages lyriques. Néanmoins, au travers des concerts donnés par la Société nationale de Musique, plusieurs compositeurs retournent à l'écriture de cette forme si chère à Haydn, Mozart et Beethoven. Ainsi, Franck commence l'écriture de sa symphonie alors que Camille Saint-Saëns vient d'achever sa Troisième pour orgue et orchestre et qu'Edouard Lalo en compose une lui aussi.
L'analyse de la symphonie révèle l'importance des mouvements thématiques et surtout de l'aspect "cyclique" de l'oeuvre, terme que l'on emploie aussi pour caractériser ses oeuvres de chambre et qui devint un véritable style de composition musicale dont Ernest Chausson fut un des dignes héritiers (ironie du sort, ce spécialiste de la musique cyclique mourut dans un accident de bicyclette...). Notons encore que l'orchestration n'est pas sans rappeler les couleurs et les méthodes de la registration "organistique". Bien que découpée en trois mouvements, la symphonie de Franck respecte pourtant bien les quatre parties de la symphonie classique. En effet, l'allegretto central fond ingénieusement les traditionnels andante et scherzo.
On peut s'interroger, en écoutant cette symphonie sur une véritable "volonté" cyclique dans l'écriture de Franck. Dans une analyse écrite de sa main, celui ci ne fait en effet aucune allusion aux célèbres retours de ses thèmes. On peut alors émettre l'hypothèse que ce "cyclisme" serait issu de sa pratique intense de l'improvisation à l'orgue. Franck n'était-il pas alors un ardent défenseur de cette pratique qu'il enseignait aux apprentis compositeurs de sa classe d'orgue ? Tant et si bien qu'elle devint une vrai concurrence pour la très officielle classe de composition de Jules Massenet. Ambroise Thomas, successeur de Daniel-François-Esprit Auber à la tête du Conservatoire et éminent compositeur d'opéra, ne voyait d'ailleurs pas d'un très bon oeil les activités de cette classe d'orgue atypique. L'aspect "cyclique" des dernières oeuvres de Franck est donc probablement le fruit de son instinct musical plutôt que l'aboutissement d'une pensée intellectuelle.
Cette symphonie, tout comme les autres oeuvres qu'il composa entre 1875 et 1890, agirent comme un catalyseur pour les jeunes compositeurs français de la fin du XIXème siècle, donnant naissance à une véritable école "Franckiste" de symphoniste dont les meilleurs élèves et représentants sont Ernest Chausson, Vincent d'Indy, Guy Ropartz et Albéric Magnard.
Notes de programme de concert mises à jour le vendredi 29 octobre 2010 à 15:33