Egmont (ouverture), op. 84
Ludwig van BEETHOVEN (1770-1827)
Egmont est une musique de scène (Singspiel) composée par Beethoven entre octobre 1809 et juin 1810. Le musicien s’appuya sur la pièce éponyme du poète allemand Goethe (parue en 1788) pour composer son oeuvre. Beethoven vouait en effet une profonde admiration pour l'écrivain depuis son adolescence et, de fait, il mit en musique un grand nombre de ses poèmes, parmi lesquels les Créatures de Prométhée. Egmont est constitué d’une ouverture et de neuf parties (quatre entractes, deux lieder, deux mélodrames et une « symphonie de victoire ») pour soprano, récitant et grand orchestre. Goethe, dans son ouvrage, avait laissé des indications pour que de la musique soit ajoutée à ses textes à certains endroits précis lors des représentations publiques. Beethoven se conforma donc aux exigences de l’auteur en réalisant lesdits passages musicaux, n'y ajoutant que l'ouverture et les quatre entractes. L'intégrale de cette œuvre est aujourd'hui rarissime et seule l’Ouverture, que vous pourrez entendre ce soir, figure au répertoire des grandes formations symphoniques. Goethe retrace dans ce drame l'arrestation et l'exécution de Lamoral, comte d’Egmont (1522-1568), un des responsables de la "révolte des gueux" qui opposa les séparatistes hollandais à l'Espagne.
Cette œuvre est en premier lieu un manifeste politique en faveur de l'indépendance nationale : Egmont est dépeint dans ce drame comme un martyr luttant jusqu’à la mort pour la liberté de son peuple. Cet argument résonna d'une manière toute particulière pour Beethoven à une époque où Vienne, ville qu'il aimait tant, était occupée militairement par les troupes napoléoniennes. Par ailleurs, on peut lire le texte de Goethe comme un plaidoyer philosophique pour la liberté. Beethoven était également particulièrement sensible à cette thématique qu'il réutilisa dans la Symphonie n°3 "Héroïque", et dans les ouvertures Léonore et Coriolan. A l’issue de la Première, le 15 juin 1810 au Burgtheater de Vienne, les critiques saluèrent la beauté du texte, mais ne dirent rien de la musique, ce qui blessa profondément le compositeur. Malgré tout, Goethe déclara que Beethoven s’était prêté à ses intentions avec « un génie remarquable ». Dans son ouverture, Beethoven présente un condensé de l'action dramatique, dans une forme sonate classique (introduction-exposition-développement- réexposition- coda). L'oeuvre débute par une introduction Sostenuto ma non troppo, qui expose sous une forme très ramassée les thèmes qu'il utilisera tout au long de l'ouverture. Il installe d’emblée une atmosphère tragique par la tonalité très sombre de fa mineur, utilisée également pour la sonate Appassionata.
Après un accord puissant et brutal à l’unisson de tout l’orchestre, une première phrase oppose les rudes accents forte des cordes aux pianos implorants des bois, sorte de récitatif instrumental. Ces deux éléments sont par la suite repris, imités, relayés et augmentés, pour signifier la lutte du personnage principal du drame. L’Allegro (exposition) est lui-même construit autour d'un thème énergique (de structure rythmique semblable à celui de la Symphonie n°5), d'un second thème modulant en majeur reprenant les accords de l’introduction, et de figures conclusives en gammes ascendantes et triomphales des cordes. Le développement nuance soudainement : la reprise piano par les bois puis les cordes du thème initial, cette fois en majeur, donne la sensation d'un apaisement momentané. On trouve dans ce passage tout l'art de composition de Beethoven (entrées en imitations, modulations, structures rythmiques originales et novatrices), ainsi que sa connaissance approfondie de la palette sonore et émotionnelle de tous les instruments de l'orchestre. Les phrases s'enchaînent de nouveau soudainement, dans un tournoiement extraordinaire. Le compositeur profite de la réexposition pour reprendre et jouer avec les thèmes de l'exposition. Puis tout s’arrête. Un accord ppp (indication rare chez Beethoven) des bois s’épaissit peu à peu et crée une atmosphère d’attente menaçante. De ce silence sort un nouveau tourbillon de cordes, soutenu par le rythme trépidant des basses et un roulement de timbales. D'abord pianissimo, il s'enfle rapidement pour devenir une fanfare triomphale (thème d'Egmont devant les bourreaux). L'oeuvre s'achève sur une série d'accords conquérants annonçant le triomphe final des idéaux du héros sur ses ennemis...
Symphonie n°8 en si mineur, D. 759 "Inachevée"
Franz SCHUBERT (1797-1828)
La célèbre Huitième symphonie (1822), dite « Inachevée », fut l’œuvre d’un Schubert ayant atteint, à vingt-cinq ans, le faite de sa maturité. Maître reconnu en Lieder, il avait obtenu quelques années auparavant un certain succès avec sa Cinquième symphonie. L’œuvre est entourée d’une série d’énigmes, qui donnèrent lieu à un concert de spéculations, d’hypothèses parfois farfelues. Le fait est que nous n’avons aucune idée des raisons ni des circonstances qui ont poussé Schubert à composer cette oeuvre. La seule chose dont nous soyons sûrs, c’est qu’il composa deux mouvements symphoniques d’une durée totale d’exécution de 25 minutes, ainsi que neuf mesures d’un scherzo. La partition autographe porte la mention « sinfonia en si mi minor – F. Schubert, m.p. (manu priopria), Vienne le 30 octobre 1822 ». Personne ne sait si ce fut le manque de temps, de motivation, sa maladie (il venait de se découvrir syphilique) ou l’insatisfaction qui le poussèrent à abandonner son travail. Plusieurs tentatives d’achèvement furent initiées. La plus célèbre reste celle de Frank Merrick, en 1928, qui composa un scherzo pour le centième anniversaire de la mort du compositeur.
Certains musicologues ont vu dans l’entracte du premier entracte de Rosamunde comme le véritable final de la symphonie : il est également en si mineur, l’instrumentation est la même, et l’ambiance musicale similaire à celle des deux mouvements terminés. Pour des raisons tout aussi inconnues, l’œuvre disparut pendant trente-trois ans, alors que Schubert avait affirmé à un de ses élèves qu’il avait transmis la partition à la Société musicale de Styrie. La partition réapparut subitement à Vienne, en 1865. C’est la raison pour laquelle cette symphonie porte le numéro 8 et non 7, comme il conviendrait. La Société des Amis de la Musique de Vienne s’empressa d’organiser la Première. Elle fut donnée à Vienne et fut dirigée par Johann Herbeck. Celui-ci donna en complément le dernier mouvement de la Troisième symphonie. L’œuvre rencontra un vif succès qui inspira à Eduard Hanslick (le plus célèbre critique de l’époque) une critique dithyrambique : « nous considérons le fragment symphonique récemment découvert de Schubert comme l’une des plus belles œuvres instrumentales. (…) Toute cette composition n’est qu’un flot de mélodies, si cristallins malgré toute sa force et son génie, que l’on peut distinguer le moindre caillou au fond de l’eau ». L’œuvre est composée dans la plus pure tradition classique, avec une influence beethovénienne évidente. Les deux mouvements, se ressemblent beaucoup, à la fois dans le mouvement (mesures à 3/4 et à 3/8) et dans le caractère (Allegro moderato pour l’un, Andante con moto pour l’autre). De même les deux mouvements se structurent autour de deux tonalités principales, si mineur et mi mi majeur, que Beethoven surnommait « les tonalités noires ».
Ces tonalités, symboles du drame, n’apparaissent que très rarement chez Schubert et certains y ont vu la marque de la maladie qui affectait le jeune compositeur. Le premier mouvement est élaboré dans une forme sonate très pure et dans une harmonie très classique. On peut le décomposer en deux thèmes principaux et quatre éléments thématiques récurrents : « la tristesse » joué par tout l’orchestre, « l’amour » interprété par les violons, « la peine » par les bois puis les violoncelles, et « l’angoisse » qu’on perçoit dans les pizzicati des cordes. La longueur des trois parties principales de la forme sonate - exposition, développement, réexposition – est identique, si l’on excepte la répétition de la première partie. De même, la coda comporte 41 mesures, soit la longueur exacte de l’exposition deux thèmes principaux. Notons que le développement de l’Allegro est construit selon la même progression que le fameux Lied Marguerite au Rouet : trois sommets (ici, des accords fortissimo en valeurs longues), chaque fois sur un degré plus élevé, procurant une grande tension dramatique. Si le premier mouvement est dramatique, le deuxième mouvement est lui beaucoup plus lyrique. Il se décompose en deux parties, qui contiennent chacun deux groupes thématiques (un piano ; l’autre mezzo-forte puis forte).
L’essentiel du mouvement est doux, comme le montrent les nombreuses indications piano/mezzo- piano/mezzo-forte et l’importance des valeurs longues dans les thèmes principaux. La coda finale reprend la tonalité de si mineur initiale, dramatique : contrairement aux grandes fresques beethovéniennes, la Huitième symphonie, s’achève sur la victoire de la tristesse sur la gaîté, de la mort sur la vie. Schubert voulait-il introduire des éléments plus enjoués dans les deux derniers mouvements ? Nul le sait aujourd’hui. Un évènement vient de faire grand bruit dans le monde des spécialistes du compositeur viennois : deux partitions originales, datées de 1823, et correspondant aux deux derniers mouvements, viennent d’être retrouvées en novembre 2009 près de Linz. Le Schubert Institut de Vienne les ont officiellement authentifiées et un projet d’enregistrement est sur le point d’être conclu.
Stabat Mater en fa mineur, D. 383
Franz SCHUBERT (1797-1828)
Le Stabat mater (de son nom complet « Stabat mater dolorosa ») est un chant liturgique inventé au XIIIe siècle représentant la souffrance de Marie lors de la crucifixion de Jésus-Christ. Le Stabat Mater, plus empathique que la plupart des airs religieux alors autorisés par l’Eglise, est caractéristique de cette période. Il fut interdit aux XIVe et XVe siècles avant d’être de nouveau autorisé à partir du XVIe siècle. Le poème latin médiéval a été mis en musique par de nombreux compositeurs : on peut citer les Stabat Mater de Lassus, Palestrina, Vivaldi, Pergolène, ou Haydn.
Schubert, jeune compositeur de dix-neuf ans, choisit pourtant de s'inspirer d'un texte en allemand du poète et précepteur Friedrich Klopstock, plutôt que du texte traditionnel en latin. Klopstock (1724-1803), malgré sa formation théologique, était réputé pour ses idées progressistes : défenseur de la Révolution française, il fut l’un des membres fondateurs avec Goethe et Klinger, du célèbre mouvement littéraire et politique Sturm und Drang (tempête et passion), précurseur du romantisme, et créateur de l’Erlebnisdichtung (la poésie du vécu et de l’expérience). Schubert, qui admirait le poète, utilisa plusieurs de ses textes pour composer des Lieder, ainsi que l’Alleluia contemporain du Stabat Mater. On ignore à peu près tout des circonstances qui entourèrent la création de l’oeuvre. On peut supposer, au vu de la date inscrite sur la partition originale (28 février 1816) qu’elle a été conçue en vue de la semaine sainte, mais rien ne le confirme. De même, on ne connaît pas d’exécution du vivant de Schubert.
Le Stabat Mater est une œuvre d’envergure, se rapprochant d’un oratorio ou d’une grande cantate. En effet, il est composé de douze numéros alternant des Arias pour trois solistes (soprano-ténor-basse, seuls, en duo ou en Trio) et/ou chœur à quatre voix. Les choristes sont accompagnés par un orchestre important : bois par deux (flûtes, hautbois, basson, contrebasson), cuivres (cors, trois trombones), et cordes. L’importance du nombre d’instruments graves (notamment le contrebasson et les trois trombones) montre la gravité du propos de Schubert et du texte de Klopstock. L’œuvre s’ouvre sur un fa mineur mélancolique. Notons que c’est dans cette même tonalité que débute le Stabat Mater de Pergolèse, dont on sent nettement l’influence dans la composition et la conception de celui de Schubert. Du chœur initial, lent et douloureux, jusqu’à l’aria pour ténor, la partition s’éclaire par paliers successifs, notamment grâce au jeu des tonalités. A partir des numéros 6 et 7, respectivement en ut mineur et ut majeur, l’œuvre prend une tournure plus enjouée, comme pour marquer l’importance de l’espérance et de la foi. Dans le numéro 10, les flûtes et le hautbois finissent par énoncer un thème très chanté qui annonce certains des airs du Schubert romantique des années 1820. Dans les deux derniers numéros, en fa majeur, Schubert développe de manière conséquence l’orchestration : le trio de solistes, le chœur et l’orchestre entament un long dialogue joyeux (n°11), qui se conclut par une brillante et vigoureuse fugue (n°12), et un long Amen apaisé.
Notes de programme de concert mises à jour le samedi 10 juillet 2010 à 22:09